
Retour sur un Atelier organisé par l’AEIFA sur le « Renforcement musculaire du coureur » avec Bas Van Hooren.
Bas Van Hooren est doctorant en sciences du sport à l’université de Maastricht, Il a publié dans des revues à comité de lecture, des articles sur divers aspects de l’entraînement ; validité de l’utilisation d’un cardiofréquencemètre, course sur tapis roulant, intérêt du retour au calme, travail des ischios jambiers dans la course à pied, différence entre les squat-jumps avec ou sans contre mouvement … mais aussi sur les statistiques. Certains de ces articles sont en libre accès sur le blog de Bas : http://www.basvanhooren.com/blog/
Il est aussi entraîneur et préparateur physique. Il a travaillé avec des équipes de football, le comité olympique Hollandais, et des coureurs à pied de tout niveau.
C’est aussi un coureur de haut niveau avec plusieurs podiums nationaux hollandais en cross et un titre sur 3000m indoor. Comme beaucoup d’athlètes il a aussi connu les blessures.
Ces trois aspects de Bas Van Hooren lui permettent d’avoir une approche particulièrement intéressante puisque l’aspect théorique et scientifique s’appuie et se confronte à une mise en pratique. Inversement une observation empirique va inciter Bas à en trouver l’explication scientifique, il va ainsi pouvoir tester sur lui-même et dans l’entraînement. Cela lui permet d’être un meilleur athlète, un meilleur coach et un meilleur scientifique. Ainsi qu’il le dit « le tout est plus que les parties »
Voici donc le programme de cette journée :
1) Pourquoi faire de la musculation
2) Théorie des systèmes dynamiques (Attracteurs et fluctuations)
3) Spécificité et surcharge
4) Musculation pour améliorer la performance et réduire le risque de blessure
5) Exemples d’exercices
6) Pratique
7) Les ischios jambiers (aspects théoriques)- voir : http://www.basvanhooren.com/blog/
1) Pourquoi faire de la musculation
La matinée a été consacrée à l’aspect théorique et a commencé par discuter de l’intérêt de faire de la musculation pour un coureur.
Le renforcement musculaire a pour effet d’augmenter la masse musculaire et donc de réduire la densité mitochondriale, de diminuer la coordination, et de ce fait vous rend plus lent
Néanmoins beaucoup d’études au contraire montrent que le renforcement musculaire permet d’améliorer l’économie de course, de prévenir les blessures. Aussi il est important de faire de la musculation, mais pas n’importe comment !
L’approche traditionnelle de la musculation a été influencé par l’haltérophilie et le culturisme. Dans ces sports on privilégie le développement de la force et l’hypertrophie musculaire, ces aspects sont pour nous un handicap et explique les réticences de certains coaches à l’utiliser.
L’idée selon laquelle plus on est fort plus on court vite est fausse. Il faut se préoccuper du transfert de la force vers la vitesse. C’est ce problème qui intéresse Bas et qui caractérise l’approche contemporaine du renforcement musculaire.
A partir d’un modèle d’une bonne technique de course, il va analyser les éléments à cibler pour améliorer l’économie de course mais aussi prévenir les blessures.
2) Théorie des systèmes dynamiques (Attracteurs et fluctuateurs)
Les degrés de liberté
Les articulations du corps humain peuvent bouger selon différents axes ; la hanche par exemple peut bouger en flexion/extension, adduction/abduction et rotations, de plus ces composantes peuvent s’additionner entre-elles.
Lors de la course beaucoup d’articulations rentrent en action, avec chacune plusieurs degrés de liberté. Pour faire ces mouvements beaucoup de muscles peuvent être utilisés, et chacun de ces muscles peut être activé d’une manière différente et selon un timing différent. Il y a donc beaucoup de choses à contrôler. Pour le cerveau vérifierdirectement chaque élément ressemblerait à conduire une voiture en contrôlant chaque roue, le levier de vitesse, le volant, la circulation, les éléments extérieurs etc.
La solution pour y arriver consiste à déléguer une partie des tâches en les laissant s’auto-organiser.
Lorsque l’on coupe la tête d’un poulet, il est encore capable de courir, ce qui montre la possibilité d’auto-organisation.
De même sur le plan interpersonnel lorsqu’on observe un banc de poisson ou un vol d’oiseaux migrateurs on note une auto-organisation spontanée sans qu’aucun animal n’ait eu à prendre de décision.
La théorie des systèmes dynamique permet de rendre compte de ces phénomènes. Le corps humain est un système dynamique complexe composé de beaucoup de sous-systèmes (muscles, articulations…) qui changent aussi dans le temps (à long terme avec la maturation et le vieillissement et à court terme avec la fatigue).
Avant de décider de faire un mouvement une multitude de mouvements sont possibles. Le cerveau envoie alors des instructions basiques et de ce fait éliminent une partie des possibilités. Le rythme et la synergie seraient quant à eux organisés dans la moelle épinière par des générateurs centraux de patrons, limitant encore un peu plus les mouvements encore possibles. Les propriétés musculaires contraignent encore davantage le mouvement de telle sorte qu’un patron de coordination émerge, partiellement produit par auto-organisation.
En course à pied compte-tenu de tout cela, seuls quelques patterns de mouvement sont possibles. Dans la théorie des systèmes dynamiques ces patterns stables sont appelés des attracteurs. D’autre patterns instables sont sous l’influence de l’environnement, ils permettent de s’adapter à l’environnement (changer de direction, sauter un obstacle imprévu, s’adapter à un changement de terrain etc), ce sont des fluctuateurs.
Dans le schéma suivant les attracteurs sont en rouge ancrés plus ou moins profondément, les fluctuateurs en jaune sont quant à eux dans une position instable.
Avec l’entraînement les attracteurs deviennent de plus en plus stables, de même avec la maturation certains attracteurs sont remplacés par d’autres plus efficaces. Plus les attracteurs sont profondément ancrés et éloignés les uns des autres moins ils peuvent changer, plus ils sont proches et moins profondément ancrés plus ils sont aptes à changer. Cela explique la difficulté à corriger des gestes acquis depuis longtemps.
Un exemple pratique est donné par la marche, lorsque quelqu’un marche, plus sa vitesse augmente moins l’attracteur de la marche est efficace puis à un moment donné l’attracteur de la course va prendre le relais. On notera que lorsque l’on fait le trajet inverse la transition course/marche ne se fait pas à la même vitesse que la transition marche/course. L’attracteur de la course est plus robuste.
Les attracteurs peuvent se décliner comme précédemment au niveau macroscopique, mais on peut les retrouver au niveau articulaire (position des articulations les unes par rapport aux autres), au niveau médullaire voire au niveau cellulaire.
Quels ont les attracteurs en course à pied ?
Qu’est-ce qu’une bonne technique de course ?
Une bonne technique de course doit être économique, stable et ne pas générer de blessures.
Il n’y a probablement pas une technique de course idéale, on peut remarquer des différences entre les techniques de course de différents champions.
La recherche a trouvé quelques éléments liés à l’économie de course (voir Running Technique is an Important Component of Running Economy and Performance. Folland JP1, Allen SJ, Black MI, Handsaker JC, Forrester SE ou Is There an Economical Running Technique? A Review of Modifiable Biomechanical Factors Affecting Running Economy. Moore IS1), mais aussi aux blessures du coureur. (Voir Is There a Pathological Gait Associated With Common Soft Tissue Running Injuries? Bramah C1, Preece SJ1, Gill N1, Herrington L, ou Running retraining to treat lower limb injuries: a mixed-methods study of current evidence synthesised with expert opinion C J Barton1,2,3,4, D R Bonanno1,5, J Carr2,6, B S Neal3,4, P Malliaras1,2,4, A Franklyn-Miller7,8, H B Menz
Les éléments mis en évidence sont :
* Une oscillation verticale limitée. Cette oscillation est le résultat d’autres éléments techniques, c’est un élément macroscopique.
* Une extension du genou lors de la phase d’appui. Un coureur « assis » n’est pas économique. Il y a plus d’énergie à fournir et les muscles ne sont pas en position idéale
Le lien avec les blessures :
Une bascule du bassin côté opposé à l’appui, une adduction et une rotation médiale de hanche, sont associées à un risque accru de syndrome rotulien, de syndrome ilio-tibial (syndrome de l’essuie-glace), et de périostite.
Un manque de raideur et de pré-tension dans la hanche et le genou peut expliquer cette chute du bassin
Un autre élément d’une technique efficace est de réduire les changements de vitesse de déplacement du bassin sur l’axe horizontal. Cela consiste à diminuer les forces de freinage induites par une foulée trop grande, et une pose de pied à l’avant du centre de gravité.
Dans une technique correcte, la pose de pied sera en plante plutôt qu’en déroulé de pied (talon, pointe).
Cela constitue deux attracteurs avec un attracteur passif (tissus) absorbant les contraintes, et un attracteur actif où les muscles fonctionnent dans des conditions de longueur optimales.
Si l’on s’intéresse à l’axe longitudinal, il s’agira aussi d’éliminer la rotation du bassin et du tronc. Cela peut être dû à un temps de poussée trop long, à un genou trop tendu à la poussée.
Attention car une extension prononcée de hanche et une flexion de genou trop importante sont associée à une antéversion du bassin qui est un facteur de risque de blessures aux ischios jambiers. Schuerman et collègues ont récemment montré avec des joueurs de football suivis sur une saison, que ceux qui avaient une antéversion du bassin étaient ceux qui dans la saison avaient été les plus à risque de blessures aux ischios-jambiers.
Un genou trop fléchi pendant la phase de suspension constitue un autre facteur affectant l’efficacité. Cette posture est souvent le résultat de phases d’appui trop longues.
Le dernier point à surveiller est la position du tronc qui ne doit être ni trop en avant ni trop en arrière. Cela permet un travail optimal des abdominaux et des spinaux.
La pose de pied
Beaucoup de résultats contradictoires sur la pose de pied, l’économie de course et les blessures.
La pose en avant pied permet une meilleure utilisation de l’énergie élastique, mais est associée aussi à une plus grande demande énergétique sur le soléaire contre balançant l’économie faite grâce à l’élasticité. Elle est aussi associée à une plus grande pré-valence de blessures au niveau des tendons d’Achille et des métatarsiens
La pose talon quant à elle est associée à une phase de freinage et d’augmentation du risque de blessures (périostite, tendinite rotulienne). La meilleure solution pourrait résider dans une attaque en plante.
Lorsque l’on regarde les athlètes d’élite, on s’aperçoit par exemple qu’au mondial 2017, sur le marathon 70% des coureurs avaient une attaque talon. Sur les courses de longue distance la pose de pied serait donc un fluctuateur et non un attracteur.
Le temps de contact :
Un temps de contact court serait associé à d’autres variables telles qu’une rotation du tronc réduite, une raideur des muscles/tendons, et une attaque du pied menant à une meilleure utilisation de l’énergie élastique et donc à une course plus économique. Le temps de contact au sol est court en raison de la raideur de la cheville.
Une plus grande raideur de la cheville permet donc aux fibres musculaires de fonctionner proches de leur longueur optimale, minimisant ainsi le travail concentrique/excentrique et les coûts en énergie qui y sont associés en augmentant l’utilisation de l’énergie élastique.
Une meilleure pré-tension avant le contact au sol, permet une poussée plus courte, moins d’extension du genou et de rotation du tronc.
3 ) Spécificité et surcharge
Force et Vitesse.
On a longtemps pensé que les sujets les plus forts étaient les plus rapides, on sait maintenant qu’il n’en est rien. Les gains liés à l’entraînement sont spécifiques et donc il est essentiel d’avoir des entraînements significatifs de notre spécialité. Cette spécificité s’applique aux mouvements choisis, à l’amplitude articulaire choisie, à la filière énergétique, à la vitesse d’exécution mais même aussi à l’heure d’entraînement. Il vaut mieux s’entraîner le matin pour une compétition le matin.
Les 6 couches de spécificité de Frans Bosch :
Plus un exercice remplit de critères plus il sera spécifique
Ces critères sont de l’intérieur vers l’extérieur :
L’intention : par exemple à la fin de la poussée en course on ne doit pas avoir de rotation du tronc, on retrouvera cette contrainte dans un exercice de montée sur une marche.
Contraction intra-musculaire, elle doit être similaire à la forme de contraction utilisée dans l’activité (concentrique, isométrique, excentrique, pliométrique)
Coordination inter-musculaire cela renvoie à l’activation des mêmes chaînes musculaires
Structure du mouvement vue de l’extérieur : c’est souvent le point de départ du choix de l’exercice, mais attention les mouvements peuvent paraître être proches en terme de structure mais être différents en terme de vitesse ou d’angles (course en côtes, course avec chariot..)
Proprioception les informations proprioceptives doivent être proches de l’activité (position des articulations, longueur des muscles..)
Informations venant de l’environnement (bruits, lumières…) Des études ont montré que la réactivité à des lumières n’étaient pas la même que la réactivité aux mouvements d’un adversaire.
On pourrait penser qu’il ne faudrait travailler que des exercices spécifiques, cela serait une erreur car le mouvement spécifique ne permet pas de surcharger suffisamment l’organisme. Il est bien sûr possible de ne travailler que la spécificité d’un côté et la surcharge de l’autre mais il est aussi judicieux de travailler entre les deux. Il est impossible d’avoir les deux aspects dans un même exercice.
Adaptations neurales et tendineuses.
La course à pied et le sprint ne demande pas seulement d’appliquer de la force mais de l’appliquer très rapidement (100ms)
Le « mou » du muscle
C’est le décalage qui existe entre la contraction musculaire et la mise en tension des tendons.
Si le muscle n’est pas prétendu, il faut « avaler le mou » avant d’avoir une action. C’est un facteur limitant de la performance. Cela peut prendre jusqu’à 100ms. Voir l’article écrit avec Frans Bosch : Influence of Muscle Slack on High-Intensity Sport Performance: A Review
Par exemple, lorsque l’on exécute un squat jump il faut « récupérer le mou » si l’on le fait précéder d’un contre-mouvement le mou a été pris et on sautera plus haut. Cette technique est efficace mais augmente le temps de réaction.
Une autre technique consiste à utiliser une charge extérieure lourde qui va appliquer une force sur l’unité muscle/tendon et réduire le « mou ». Néanmoins en course à pied il n’y a pas de charge extérieure.
La troisième stratégie consiste à utiliser une pré-tension en réalisant une co-contraction des agonistes et des antagonistes. Mais si les muscles sont contractés au moment où l’un deux doit produire de la force, celle-ci sera contrariée par la contraction de l’antagoniste. Il s’agit donc d’affiner le timing afin que la co-contraction ait cessé lors de la contraction visée. Pour la course à pied la co-contraction c’est au moment du contact au sol. De plus avec une technique de course efficace, la mise en tension permet aussi de réduire le mou (la flexion dorsale de cheville réduit le mou des extenseurs)
4) Musculation pour améliorer la performance et réduire le risque de blessure
L’influence de l’haltérophilie :
On pourrait penser que le développement de la force est sans intérêt, néanmoins il n’en est rien. Cela permet d’améliorer la coordination intra musculaire ainsi que la raideur du tendon. Dans une revue de questions Bas a trouvé que dans la majorité des études cela améliorait la vitesse de production de la force.
Pour recruter les fibres de type 2 il faut soit travailler avec des charges lourdes, soit travailler avec des charges légères mais avec beaucoup de répétitions. Mais dans ce dernier cas on va ajouter de la fatigue et développer l’hypertrophie du muscle, ce qui sera contre-productif pour un coureur.
L’utilisation de charges lourdes permet aussi de renforcer le tendon en en augmentant la raideur.
L’influence de la physiothérapie :
Pour les kinésithérapeutes le travail va commencer à vitesse lente puis aller vers des vitesses élevées sans que l’on sache si le transfert est effectif.
Réflexe et préflexe :
Notre activité demande d’appliquer beaucoup de forces en peu de temps, ce temps est même si court qu’il est inférieur à la mise en place d’une contraction réflexe (cf l’entorse de cheville). Heureusement il existe un autre mécanisme nommé préflexe (il s’agit globalement de la raideur du muscle et de son tendon) cette raideur va s’opposer à l’étirement. Le muscle étiré sera de plus, proche de sa longueur optimale de fonctionnement et donc plus efficace.
Le travail « proprioceptif » classique travaillera donc plus l’aspect réflexe alors que le travail à haute intensité sera spécifique des « préflexes ».
L’haltérophilie
Elle est donc un des moyens privilégiés de développement de la force. Elle va améliorer la coordination intra-musculaire.
Toutefois les exercices peuvent et doivent être adaptés.
Ainsi l’épaulé sera exécuté en épaulé suspendu minimisant ainsi les mouvements non spécifiques de la course (soulever de terre, squat sous la barre …), induisant moins de fatigue inutile.
Incorporation des réflexes
Ils vont permettre de développer plus de force et d’améliorer la coordination inter-musculaire.
Il s’agit donc de modifier la position de départ pour y permettre l’expression des réflexes d’extension et celui de trébuchement. Le réflexe d’extension associant la flexion d’un côté à une forte extension de l’autre, le réflexe de trébuchement lui va induire une projection vers l’avant de la jambe libre. Pour cela les positions de départ en unipodal seront privilégiées.
Quels exercices peut-on proposer aux coureurs :
La montée d’escalier en courant avec ou sans charge instable, les exercices de « good morning », les exercices de soulevé de terre, pour développer la force des muscles du dos et agir sur la raideur des tendons. Mais aussi des arrachés en fente, des arrachés en unipodal ou des épaulés sur boîte.
On utilisera aussi des courses avec une corde à sauter, des sauts au-dessus de petites haies en tenant un bâton (pour éviter les rotations).
L’essentiel étant de choisir les exercices en fonction de l’effet recherché et de la spécificité plus ou moins grande de l’exercice choisi.
Après ces informations, Bas a dirigé une session pratique où chacun a pu tester et superviser les divers exercices : travailler avec des bancs, des mini-haies des water-bags etc.
La formation s’est poursuivie ensuite par un point sur la physiologie, les pathologies la rééducation et la réhabilitation des ischios-jambiers. Cette journée dense s’est terminée quand il a fallu libérer les lieux, tant Bas s’est prêté de bonne grâce au jeu des questions/réponses.
Pour adhérer à notre association ou avoir des renseignements, une seule adresse :
AEIFA, 16 rue Vincent Compoint 75018 PARIS
Courriel : aeifa@aeifa.com Internet : www.aeifa.com
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