L’INAPPÉTENCE SUR LES EFFORTS LONGS par Denis Riché
Certains concurrents prenant part à des épreuves de trail se plaignent de ne pas avoir faim dans les heures qui font suite au terme de l’épreuve. Pourtant, ils ont couru pendant de nombreuses heures, et la dépense calorique occasionnée devrait, pense-t-on, justifier qu’ils aient faim. Comment ce paradoxe s’explique-t-il ?
LA SENSATION DE FAIM EST UN PHÉNOMÈNE TRÈS COMPLEXE :
L’acte alimentaire fascine les chercheurs. Il est à la fois très précis et très fuyant. Précis parce que si la prise énergétique dépassait de seulement un sucre quotidien le niveau de nos dépenses on gagnerait, en fin d’année, un kg de trop. On comprend donc que les mécanismes qui régentent la sensation de faim font preuve d’une grande précision. Fuyant parce que, en situation normale (c’est-à-dire à distance d’un effort), seulement 10 à 12% de ce qu’on avale est directement oxydé dans les heures qui suivent. Le reste sera stocké et utilisé plus tard. En fait, l’intérêt du repas n’est pas précisément dans la compensation immédiate et complète de la dépense calorique occasionnée. Au cours de celui-ci, divers paramètres sont repérés et intégrés dans le grand ordinateur central que représente notre cerveau, et confrontés aux messages en provenance de divers tissus, informant des besoins en divers éléments (eau, sel, sucre, acides aminés, etc…). Ceci permet de régler finement la prise alimentaire de façon à assurer par anticipation une bonne concordance entre ces différentes informations, alors même que le contenu du repas n’a pas commencé à être digéré.
Le tube digestif participe à ce système d’information très élaboré ; des récepteurs sensibles au glucose, au sodium, à la distension des viscères, envoient des trains d’influx vers le cerveau. On sait par exemple que la salivation devant un plat succulent, par un processus de cet ordre, déclenche une sécrétion d’insuline qui prépare au stockage ultérieur des nutriments fournis par le repas. C’est un des fameux réflexes « pavloviens ».
Outre ces messages de nature nutritionnelle, notre cerveau prend en compte d’autres informations très importantes, telles que la température des tissus, le taux d’adrénaline (libérée à des quantités qui dépendent de l’intensité de l’effort et de la chaleur extérieure au moment où celui-ci a été accompli), la présence de certains déchets, l’acidose. Évidemment, au terme d’un effort de longue durée, certains de ces facteurs peuvent avoir été fortement modifiés. Ceci pourra alors avoir un retentissement sur notre prise alimentaire, tant dans nos choix pratiqués (parfois très étonnants), que dans le délai qui retarde la prise d’aliment ou dans les portions consommées. La façon dont l’effort aura été géré, notamment sur le plan de la prise des ravitaillements, mais aussi l’état de fraîcheur et le statut nutritionnel préalable du coureur influeront sur la survenue éventuelle de ce refus des aliments, ou au contraire sur l’apparition de pulsions incontrôlables, se manifestant sitôt la ligne d’arrivée franchie. Chacun de nous va mettre en action un comportement qui lui sera propre, selon l’importance de chacun de ces éléments décisifs.
L’ULTRA, DISCIPLINE A RISQUE…
Dans le cadre d’efforts d’ultra, deux problèmes semblent plus particulièrement prédisposer à cette anorexie temporaire. Le premier est relatif à la déshydratation. Celle-ci va pouvoir donner lieu à une hyperthermie très peu propice à la consommation de solides dans un bref délai après l’effort.
Se forcer dans ce contexte-là conduit à un important risque de nausées et de vomissements, quelles que fussent les denrées ingérées. Elle va également favoriser une augmentation très significative de la perméabilité des intestins. Cette anomalie peut provoquer divers soucis. On pense notamment au passage dans la circulation de certains éléments fabriqués par les bactéries de notre flore intestinale et qui, normalement, restent dans les intestins. Il s’agit des endotoxines, dont l’afflux dans notre organisme a fait l’objet de travaux très aboutis, notamment de la part de Tim Noakes.
On leur attribue divers effets, torpeur, confusion, et refus de s’alimenter. Préalablement à ce rejet des aliments proposés à l’arrivée, l’athlète se trouvant dans ce cas aura peu à peu éprouvé un dégoût croissant envers les boissons énergétiques, sucrées ou non.
Le second est une modification de la chimie du cerveau, du fait que certains nutriments importants pour la fabrication de « neurotransmetteurs », en particulier de ceux qui régissent la prise alimentaire, sont consommés à des taux anormalement importants par les muscles. Ce phénomène, lui aussi d’instauration progressive, contribue tout autant que le précédent à cette anorexie de récupération parfois décrite.
DES CONSÉQUENCES DÉFAVORABLES :
Une récupération optimale nécessitait une prise précoce, en fait le plus tôt possible après la fin d’une compétition, d’éléments indispensables à sa mise en œuvre. Il s’agit notamment de glucides et de protéines. Plus on tarde à réaliser ce premier apport, moins on récupère et plus la régénération demande du temps. Dans certains cas, ce « timing » inapproprié fait le lit de problèmes plus sérieux, infections (un coureur des « Comrades » sur deux, spontanément, présente des signes d’infection la semaine qui suit l’épreuve mythique), inflammation, blessure, et ce d’autant plus que la perméabilité intestinale se sera pérennisée. Cela étant, forcer quelqu’un à manger lorsque son état, à l’arrivée de l’épreuve, ne le permet pas, n’est pas une solution. Mais cette impossibilité réelle à s’alimenter n’augure rien de bon.
La fatigue qui s’ensuivra ne se traduira pas seulement par l’impossibilité de reprendre rapidement l’entraînement. De toute façon, a priori, dans cette situation-là, il est rare qu’un coureur d’ultra ait envie de remettre çà tout de suite. Ou alors inquiétons-nous de sa santé mentale. Mais cette fatigue s’exprimera aussi dans la vie de tous les jours, et cette asthénie ne connaîtra pas forcément de date butoir à sa dissipation.
Plusieurs années après l’épisode de fatigue chronique qui précipita la fin de sa carrière au plus haut niveau, le marathonien Alberto Salazar racontait que non content de ne plus se sentir l’énergie minimale pour faire des footings d’entretien, il lui arrivait régulièrement de piquer du nez au travail et de s’endormir sur place… sans parler des efforts de concentration extrêmes qu’il devait fournir pour rester à peu près performant dans son activité professionnelle.
La vulnérabilité aux infections, un terrain inflammatoire chronique, se traduisant par tout un tas de problèmes en « ite », constitueront la trace durable de cette fatigue devenue chronique. L’ampleur des dégâts occasionnés, leur durée, ne dépendront alors pas tant du niveau du coureur concerné que de la façon dont il aura géré l’avant, le « pendant » et l’après-course. D’où l’importance d’aborder maintenant cet aspect des choses.
UNE STRATÉGIE A PEU PRES PRÉVENTIVE :
Nul ne peut affirmer qu’il détient le secret qui va permettre, à coup sûr, de ne plus faire une moue dédaigneuse au-dessus du buffet d’arrivée lors de vos prochaines courses. Mais connaissant les causes les plus fréquentes de cette anomalie, il reste possible d’intervenir pour les prévenir autant qu’on pourra.
La première règle qui me paraît importante à tenter de faire passer, c’est curieusement l’incorporation quasi systématique d’aliments riches en protéines au petit déjeuner quotidien. A quoi cela sert-il ? Cette stratégie qui s’appuie sur de récentes acquisitions dans le domaine de la chronobiologie offre plusieurs avantages ; d’une part, ce jambon ou ces œufs délivrent certains acides aminés qui participent au maintien de l’équilibre des neurotransmetteurs, ce qui semble mieux protéger en cours d’effort de l’apparition d’un état de torpeur, de confusion ou d’anorexie.
De plus, ce breakfast à l’anglaise permet d’accroître la part des protéines disponibles en début de journée, ce qui va contribuer à une réparation tissulaire optimale. Car ne perdons pas de vue que pour prendre part à un trail il faut, au préalable, effectuer une préparation conséquente, dont l’une des caractéristiques est d’occasionner invariablement une casse musculaire indéniable. Cette prise alimentaire ne se substituera pas à un produit particulier, même si on encourage fortement nos lecteurs à mettre un sérieux bémol aux viennoiseries et aux repas hyper-sucrées avalés dès potron-minet. Mais l’œuf brouillé peut se réconcilier avec le müesli et le yaourt.
La nature de l’alimentation pré-compétitive va aussi jouer un rôle clef. Le maintien d’un apport protéique et lipidique normal lors des derniers jours avant l’échéance est un principe à intégrer. Pas question de supprimer la volaille ou le poisson, encore moins de faire la chasse aux huiles. Et bien sûr, il sera judicieux d’accroître la part de glucides dans votre alimentation en même temps que vous réduirez à quasiment rien du tout votre entraînement des trois derniers jours. Ceci vous offrira la possibilité de mettre en réserve suffisamment de glycogène.
Grâce à cela il sera épuisé plus tardivement au cours de l’épreuve, et les stimuli anorexigènes seront moins déterminants au moment où la récupération devra débuter. En outre, cette quasi suppression de la pratique de la course lors des dernières 72 heures (surtout si vous vous rangez parmi les vétérans) assurera à votre organisme deux autres avantages ; d’une part elle entraînera une relative fraîcheur mentale, due à un parfait équilibre de la chimie cérébrale.
D’autre part, vous vous doterez d’une chance supplémentaire de réparer les ultimes dégâts laissés, au niveau musculaire, par votre préparation, faute de quoi des déchets et des toxines seront prématurément libérés dans votre organisme fragilisé (simultanément, vous aurez mal aux jambes), et ce seront autant de messages susceptibles de freiner ensuite votre prise alimentaire.
Pensez également à saler votre alimentation au cours des dernières 48 h. Ceci contribuera à un volume plasmatique optimal, ce qui signifie que l’ampleur et les conséquences de la déshydratation pourront être moindres. Ceci sera vrai, évidemment dans la mesure où vous réhydraterez correctement en cours d’exercice.
C’est évidemment le point-clef, le choix des boissons. De l’eau et des glucides à intervalles réguliers, ceux-ci assurant à la fois une meilleure réhydratation cellulaire, l’apport d’un carburant d’appoint aux muscles, ainsi qu’aux intestins qui en ont besoins pour préserver une relative étanchéité. Selon les cas, notamment chez ceux qui redoutent la survenue brutale d’un état de fatigue mentale, la présence de peptides riches en acides aminés ramifiés à ces boissons sera un « plus ».
ATTENTION AUX SALES HABITUDES…
Ce souci de préserver autant qu’on le peut l’intégrité de l’écosystème digestif doit amener à parler de deux agents très néfastes. Le premier, ce sont les antibiotiques. Il ne s’agit pas ici de relancer le débat polémique sur une utilisation parfois jugée exagérée. Mais de souligner qu’à chaque fois qu’ils sont prescrits ils détruisent notre flore digestive. Ceci accroît le risque de voir ses intestins perdre leur étanchéité à l’effort.
Le second, ce sont les anti-inflammatoires dont les enquêtes menées dans le milieu de l’ultra depuis une quinzaine d’années (course et triathlon), nous enseignent que près de la moitié des participants à des épreuves de longue durée en consommes régulièrement, voire le jour de la course. Or ces produits favorisent la perméabilité des intestins, et de là le possible passage de molécules antigéniques dans le sang. Parmi elles figurent les endotoxines dont je vous parlais plus haut. Dans le champ de recherche où je travaille aujourd’hui, celui de l’écosystème digestif des sportifs, la banalisation de ces médicaments est désormais perçue comme une calamité. Une prise d’anti-inflammatoires justifiée (car il en existe, je suis moi aussi bien placé, en tant que coureur récemment blessé, pour le savoir), justifie aussi un repos absolu, consacré à la cicatrisation et à la restauration de l’écosystème digestif. Avaler de l’aspirine la veille au soir des « Templiers » ne constitue pas un bon plan…
« APRÈS L’EFFORT… » (REFRAIN CONNU) :
Enfin, le dernier volet de la prévention de cette inappétence qui suit l’effort concerne la stratégie de récupération à mettre en jeu. Du fait que l’ingestion de solides n’est pas forcément tentante, et peu recommandée tant que les intestins n’ont pas retrouvé une irrigation normale, on privilégiera les boissons énergétiques sitôt la ligne d’arrivée franchie, éventuellement en alternance avec des jus de fruit dilués (toujours par souci de respecter le confort intestinal) et des eaux gazeuses sodées bicarbonatées. L’apport de « ramifiés » à ce moment-là n’apparaît pas non plus idiot.
Cette prise de boisson, en modifiant l’état chimique de l’organisme, va avoir comme conséquence que les différents signaux arrivant au cerveau, et indiquant qu’il est urgent de manger, vont enfin être pris en compte. Les diverses perturbations apparues à la suite de l’effort parasiteront moins ces pulsions à manger. Le repas de récupération devra, en théorie, être « hypotoxique », c’est-à-dire à dominante de végétaux (fruits, légumes, soupes, féculents, légumes secs), d’œufs et de laitages bien tolérés. Une prise d’alcool conviviale ne sera pas forcément incompatible avec cette approche… qui peut rester tout à fait théorique si votre repas d’après-course est élaboré, comme chez nos amis de l’Euskal Trail, par un traiteur qui se met en quatre pour vous faire apprécier les spécialités basques. Gardez cependant en tête que les premières étapes de la récupération, notamment la réhydratation et toutes les étapes préalables à la course, seront encore plus cruciales si vous souhaitez ne garder que de bons souvenirs de ce repas d’après-course… qui est aussi l’une des raisons pour lesquelles on court…
Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition
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Les ultra-boutistes par Denis Riché
De multiples courses nature se sont crées un peu partout dans le monde, courues par toutes saison, parfois la nuit. Parmi les courses mythiques, citons l’Ultra Trail du Mont Blanc – près de 170 km, avec 9600 m de dénivelé positif. Ces courses s’adressent à des athlètes pour qui plaisir de courir […]
Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition
Pour en savoir plus: Les Ultra – Boutistes – Nutrition extreme
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FAUT-IL S’ENTRAÎNER A L’ALLURE MARATHON ? par Denis Riché
Une question revient régulièrement lorsqu’on aborde le thème de la préparation au marathon. Aussi bien vos courriers, vos réflexions sur vos épreuves que vos interventions sur les forums montrent à quel point elle vous tarabuste : Faut-il, oui ou non, effectuer des sorties à « allure marathon » ?
QUELQUES RAPPELS :
Le marathon se court, lorsque l’athlète l’aborde convenablement préparé et suffisamment aguerri par plusieurs années d’entraînement assidu, à une allure qui ne correspond pas à une « zone » physiologique particulière. On entend par là qu’à l’inverse de la « vitesse maximale aérobie » ou la « vitesse au seuil », supérieurs au rythme moyen du marathon, elle ne permet pas de travailler une aptitude particulière. Elle se situe, suivant les cas, entre 65 et 80% de la VMA. En fait, les aptitudes d’endurance du marathonien résultent de trois facteurs :
- la vitesse maximale aérobie. C’est logique, plus celle-ci est élevée, plus l’allure qui correspond à 65, 70 ou 80% de la VMA sera elle aussi élevée. Développée plus tôt avant la préparation spécifique du marathon, la VMA fait cependant l’objet de rappels réguliers en cours de préparation, notamment pour ne pas perdre des acquis techniques ni la qualité de « pied ».
- l’endurance, autrement dit l’aptitude à tenir le plus VMA. Par exemple, le coureur qui tient 90 mn à 80% longtemps possible à un pourcentage important de la de sa VMA possède plus d’endurance que celui qui ne tient que 75 mn à 75% de la VMA. Cette « endurance » s’améliore, tout le monde s’accorde sur ce point aujourd’hui, grâce à l’accomplissement de séances dites au « seuil », c’est-à-dire effectuées à l’allure au-delà de laquelle l’accumulation sanguine et tissulaire d’acide lactique croît très rapidement. C’est en quelque sorte la vitesse « équilibrée » la plus élevée que puisse tenir le coureur. Elément essentiel de la préparation, ce travail au seuil impose d’effectuer des séances à cette allure plusieurs fois dans un délai de dix jours (la périodicité dépendant du nombre de sorties hebdomadaires accomplies par le coureur). Idéalement, il met les chevaux tous les 4 à 5 jours lors de la préparation « spécifique ». Il accomplit dans ce but des séances de forme variable, en continu ou en fractionné, que nous avons déjà abordées dans ces colonnes.
Le dernier élément qui pourrait être déterminant est ce qu’on nomme « l’économie de course ». Ce paramètre, a été plus particulièrement étudié dans un récent travail mené par Véronique Billat. Cette économie de course traduit que pour produire de l’énergie mécanique (c’est-à-dire du mouvement), certains coureurs gaspillent moins d’énergie, à une même allure, que d’autres. Cette « économie » ressemble tout à fait à la qualité qu’on décrit pour des véhicules qui dépensent 8 litre plutôt que dix litres de carburant pour cent km. La question fondamentale, en termes d’entraînement, que beaucoup se sont posés jusqu’à présent est de savoir comment améliorer cette économie gestuelle lors du marathon.
- Longtemps, non sans logique, certains ont considéré que pour être moins dépensier sur marathon et y progresser, il fallait régulièrement courir à cette allure.Le souci qui en résultait, c’est que de telles séances génèrent de la fatigue, et que dans ces conditions, cumuler séances au seuil, sorties longues, un peu de VMA et sessions à allure marathon fait courir un trop g ros risque de surmenage au coureur. Ceci explique que d’autres entraîneurs ont fait le choix de privilégier les allures « utiles » et les sorties longues, pour n’accorder qu’une faible importance au travail à allure marathon. Une publication parue cet été leur donnerait raison…LA VÉRITÉ VIENT DU TERRAIN :
La physiologiste lilloise Véronique Billat conduit des études très pragmatiques dans le domaine de l’entraînement, ne laissant aucune place à l’empirisme douteux ni aux spéculations. Elle a mené son travail auprès de marathoniens de haut niveau, recrutés en France et au Portugal sur la base de chronos respectables (moins de 2 h 11 chez les hommes, moins de 2 h 35 chez les femmes). Elle a suivi les 8 semaines d’entraînement spécifique qui précédaient les J.O. de Sydney.
Durant cette préparation, le kilométrage culminait à 180 km chez les hommes et 155 chez leurs collègues féminines. Leur entraînement ne comportait aucune séance effectuée à allure marathon, mais on y relevait la réalisation régulière de sessions courues aux vitesses de 3000 m (VMA) et 10.000 m, c’est-à-dire à des allures supérieures à la fois à la vitesse marathon mais aussi au seuil anaérobie. En fait, comme le précise Véronique Billat dans cet article, ils évoluent à un rythme situé exactement à mi-chemin entre la vitesse au seuil et la VMA. C’est une allure caractéristique qui permet, après quelques minutes, d’atteindre VO2 Max. Ce travail très ciblé, associé aux footings et aux sorties longues, dura de (S- 10) à (S-2), date à partir de laquelle les charges d’entraînement (notamment des athlètes lusitaniens), décrurent très fortement. Au début (S- 10) et à la fin (S-2) de cette période préparatoire, elle leur demande d’effectuer un test très précis. Muni d’un appareillage permettant d’évaluer précisément la consommation d’oxygène, chacun de ces athlètes devait effectuer une course de 10 km à l’allure de leur record sur marathon. La consommation d’oxygène était mesurée entre le 2ème et le 3ème km, une fois les processus énergétiques stabilisés. Cette procédure avait pour objectif de calculer le coût énergétique à la vitesse du marathon, et d’observer si cette variable si déterminante se modifiait en l’espace de deux mois sous l’effet de cet entraînement qualitatif. Qu’a-t-elle finalement constaté ? Que l’entraînement proposé n’avait pas abaissé le coût énergétique. Autrement dit, en s’entraînant aux vitesses de 3000 (VMA) et 10.000 m lors des séances de fractionné, ces athlètes ne devenaient pas plus « rentables » à la vitesse du marathon. Donc, a priori, les tenants de l’entraînement à l’allure marathon auraient raison.
Mais un autre résultat déduit de cette étude compense très largement ce constat. En général, des athlètes performants et doté d’un long passé athlétique conservent une VO2 Max rigoureusement identique (ou quasiment) d’un bout à l’autre de la saison. Or ici, malgré leur niveau d’athlète d’élite, ces volontaires ont amélioré d’environ 5% leur VO2 Max en l’espace de 8 semaines. Cela confirme en passant l’extrême intérêt d’un entraînement bien « ciblé ». A bien lire ces résultats, on comprend que, de ce fait, leur « allure marathon » représente, en fin de préparation, un plus faible pourcentage de VO2 Max. Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement que cela peut en théorie leur permettre d’aller plus vite sur cette distance. Le bénéfice qui s’ensuit est certainement supérieur à celui qui aurait résulté d’une amélioration du rendement énergétique à l’allure marathon.
LES BONNES PISTES POUR LE FUTUR :
Qu’en conclure ? Que quel que soit votre niveau, il convient de se concentrer sur des allures utiles supérieures à celles auxquelles le marathonien a l’habitude de travailler et effectue cette épreuve. Il faut privilégier les séances au seuil, voire même de « seuil + » puisque les séances proposées par Véronique Billat, effectuées à une allure plus rapide que celle qui correspond au seuil, élèvent significativement le taux d’acide lactique, et développent le pouvoir tampon des coureurs. C’est une option que nous avions développée et dont nous voyons arriver avec satisfaction la confirmation scientifique.
En pratique, on peut aborder de telles sessions sous la forme de répétitions de 500 m (jusqu’à 2000 m), selon la vitesse choisie pour courir, les fractions de 500 m convenant pour les répétitions à l’allure VMA (moins du 1/6 de la distance- limite), alors que les enchaînements de 1000 m s’appliquent plutôt aux courses effectuées à l’allure du 10.000 m.
Peut-on toutefois courir de temps en temps, sur de courtes fractions, à l’allure qui correspond à l’objectif du prochain marathon, afin de bien maîtriser ce rythme ? Cela peut être nécessaire si on craint de mal gérer le rythme. Dans ce cas, plutôt que d’y sacrifier une séance entière, on de contentera de courir à cette cadence certains passages d’une sortie longue, voire d’un footing. Des séquences de 15 à 20 mn peuvent alors suffire.
Autrement dit, pour 2 h d’effort, on prévoira, au plus, au cœur de cette sortie, deux séquences de 20 mn au rythme marathon. On placera un passage plus lent au début, entre ces deux blocs, et en fin de séance, à l’instar de certains coureurs qui, comme Maazouzi- doté d’une VMA de 25 km/h), peut effectuer des séances de récupération à 12 km/h, soit à moins de 50% de sa VMA !
En outre, on privilégiera au maximum les activités de substitution, ou la combinaison course et vélo. En effet, si on effectue en courant l’intégralité de chaque sortie longue, surtout si on dépasse deux heures, on cumule les contraintes mécaniques et articulaires associées aux sorties longues et celles dues à ces éprouvantes séances de rythme. Et on risque alors de casser.
Dernier enseignement de ce travail. L’élite a réduit d’environ 30 à 40% son kilométrage hebdomadaire en l’espace d’une décennie. A l’époque où Dominique Chauvelier régnait en maître sur l’Hexagone, il n’était pas rare de voir des compétiteurs atteindre la barre hallucinante des 280 km hebdomadaires. Si ceux de devant ont révisé à la baisse le nombre de bornes parcourues, il va s’en dire que le gros du peloton devrait faire de même. Je suis convaincu qu’avec 80 km par semaine un coureur qui vaut moins de 35 mn sur 10 km peut accomplir un marathon en moins de 2 h 45 mn… C’est en tout cas la tendance à venir ces prochaines années, surtout avec le vieillissement de la population athlétique.
Denis Riché
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ENTRAINEMENT ET RANDO-COURSE par Denis Riché
Hormis quelques rares pas entre deux répétitions de 200 m effectués à fond, il ne viendrait à aucun coureur de demi-fond de considérer que la marche puisse constituer un élément de son entraînement. Le coureur de trail accepte un peu plus cette idée. Pour lui, de façon un peu empirique, la réalisation de randonnées en montagne ou de sorties « rando-course » semble s’inscrire dans une logique compatible avec l’ultra. Il restait à le démontrer…
Aujourd’hui, le souci d’accomplir du volume pour préparer des sessions plus difficiles connaît un nouvel essor, le vélo, le ski de fond se voyant de plus en plus proposés aux athlètes, notamment dans le cadre du marathon, où l’introduction de sorties cyclistes tend à se banaliser. Les adeptes de la distance-reine semblent en tirer un réel profil en dépit d’une nette différence entre ces deux sports. Cela nous renvoie à la question du « transfert » entre deux activités plus ou moins apparentées, domaine qui depuis l’émergence du triathlon suscite de multiples travaux et des débats passionnés.
Photo Pierre Mouly
Guillaume Millet saura mieux en parler que moi, tout juste tiens-je à souligner que ce processus de transfert n’avait, jusqu’alors, été que très peu envisagé dans le cadre de la marche.
Toujours est-il qu’il ne suffit pas qu’une activité fasse dépense des calories pour qu’elle puisse s’intégrer favorablement a l’entraînement. Il faut en effet que, sur le plan physiologique ou « mécanique » elle apporte un « plus » au coureur. Or marcher aide-t-il à être un coureur plus performant ? Cela pourrait être le cas. Au tout début de cette année des chercheurs écossais sont enfin parvenus à montrer tout l’intérêt des randos en moyenne montagne, Leurs conclusions sont très intéressantes.
PRESQUE COMME UN MARATHON
Dans le cadre de ce travail, ils ont demandé à 13 volontaires de réaliser une marche de 12 km sur un terrain de moyenne montagne dans des conditions réelles, c’est-à-dire avec sac à dos, coupe-vent et casse-croûte dans la poche. Le profil était assez dur, puisque sur les 5 premiers kilomètres les marcheurs passaient de l’altitude 100 à l’altitude 900 (soit une pente moyenne de 16%) sur un terrain accidenté, avec appuis parfois fuyants. Le recueil des gaz expirés et l’enregistrement de la température corporelle en cours d’activité permettaient d’évaluer le coût réel de celle activité. Par ailleurs, la composition nutritionnelle du petit déjeuner d’avant-effort, la nature du ravitaillement pris en route et du repas du midi étaient prises en compte de façon à calculer la différence entre l’apport calorique réalisé et les dépenses occasionnées. Qu’en ont-ils retiré de marquant ? Il a d’abord été constaté une élévation de la température corporelle lors de l’ascension (passage de 36,9 à 38,51, C en moyenne), soit une différence tout à fait comparable à ce qu’on enregistre au décours d’un marathon ou d’un semi. Cette observation confirmait bien la nature assez coûteuse de cette sortie, qui n’avait rien d’une balade digestive. Plus étonnant, la dépense calorique totale de la journée se chiffrait à 3000 calories (activité + métabolisme de repos), ce qui placerait cette activité, sur ce plan, au niveau d’un marathon ! A l’appui de ce constat, l’essentiel de l’énergie dépensée était fourni par la combustion des graisses de réserve, ce qui s’explique à la fois par la durée de l’effort, le net déficit calorique relevé sur la journée (les apports, en fin de rando, se situaient en moyenne à 1340 calories), et l’intensité moyenne, qui sollicitait peu les réserves de glycogène, une fois l’altitude 900 atteinte.
En termes simples, ce travail indique que les randonnées en terrain accidenté, ou les sorties rando-course qui peuvent comprendre des séquences un peu plus intenses, sont tout à fait comparables, par leurs contraintes, aux sorties longues Il classiques », telles que les pratiquent les marathoniens. Utiles aux adeptes du trail, qui pourront les entreprendre en alternance avec les sorties longues, ou même à la place de celles-ci, sans craindre de perdre quoi que ce soit de leurs qualités compétitives, elles pourront aussi s’adresser aux adeptes du 100 km ou aux marathoniens.
De plus en plus en effet, comme on l’a vu, le souci de prévenir la survenue de pathologies musculaires, tendineuses ou articulaires de « surcharge » incite les coureurs ou leurs entraîneurs à incorporer des séquences de vélo dans leurs sorties longues, voire à remplacer franchement certaines séances de course par une séance de pédalage. Peu spécifiques, elles ont pourtant un impact globalement positif, du fait qu’elles favorisent l’accomplissement de temps d’effort conséquent, sans exposition à l’onde de choc, et n’altèrent en rien le déroulement des sessions de course ultérieures.
Photo Pierre Mouly
L’emploi du cardio-fréquencemètre permet, après ajustement (des différences de fréquence existent, à intensité égale, entre les deux activités), de cibler parfaitement le travail dans une zone d’effort prédéfinie.
Ces mêmes caractéristiques peuvent se retrouver avec la marche en montagne et, en outre, le renforcement musculaire qui peut résulter de telles sorties, conjugué à l’adaptation mentale aux efforts de longue durée, influeront très favorablement sur la préparation. Dernier avantage, et non le moindre : L’incorporation occasionnelle ou régulière de telles sorties de rando détournent un peu le coureur de son obsession du décompte kilométrique qui le coupe souvent de l’essence-même de sa préparation : Être prêt le jour « J », tant aux niveaux des muscles que du cœur, des poumons ou de la tête.
EN ALTITUDE C’EST ENCORE MIEUX
Ce qui précède met donc la sortie rando sur le même plan qu’une sortie longue traditionnelle, ou qu’une sortie panachée rando-course telle qu’on l’évoque dans « Le Guide du Trail ».
C’est bon à savoir et ouvre certainement de nouveaux horizons à votre entraînement, assurant de toute évidence un sacré renouvellement et une assurance anti-monotonie. Mais, dans certaines conditions, elle peut faire bien plus encore. Il faut en effet noter que l’altitude à laquelle montaient ces sujets, faute de montagne Outre-Manche, se situe en-deçà de celle à laquelle on peut pratiquer le trekking en France ou en Suisse. Or, plus on monte haut, plus l’effort, quel qu’il soit, peut constituer un stimulus intéressant pour l’entraînement.
Photo Pierre Mouly
En effet, d’une simple activité dérivative ayant un vague effet sur la récupération, la marche, selon les conditions dans lesquelles on la pratique, peut offrir de véritables séances de développement.
D’autres récents travaux ont montré que, en raison de la raréfaction de l’oxygène dans les hautes altitudes, toute activité effectuée au-dessus de 2500 m peut stimuler la libération d’EPO et, de là, améliorer à court terme les capacités de transport d’oxygène dans le sang par une synthèse d’hémoglobine.
Celle-ci, rappelons-le, est chargée de véhiculer l’oxygène dans le sang vers nos tissus. Donc, celui qui parvient à stimuler sa production (l’entraînement en altitude est recherché pour cela), va disposer temporairement, à son retour au niveau de la mer, d’une meilleure oxygénation cellulaire.
Or, on sait que la disponibilité en oxygène constitue l’un des « maillons faibles » de l’effort intensif, et que toute amélioration de l’apport de 02 aux muscles va s’accompagner d’un recul du seuil, des efforts plus soutenus pouvant être réalisés en aérobie. La marche en montagne va donc, au même titre que le fractionné réalisé en plaine, stimuler la fabrication de globules rouges. En outre, si cette sortie s’effectue sur un terrain très accidenté, très pentu, et que tout au long de celle-ci vous portez un sac chargé à plus de 10 kg, vous allez nettement accroître l’intensité de cet effort, la fréquence cardiaque maximale pouvant même être atteinte dans de telles conditions. Une autre étude publiée en 2000 avait bien démontré ce fait, et en outre il était apparu que sur les portions les plus raides, l’emploi de bâtons diminuait sensiblement le côté ardu de la tâche.
Or, la réalisation d’efforts intenses en altitude offre un double avantage – d’une part, elle contribue à une augmentation très prononcée du nombre d’enzymes qui, dans les fibres, participent aux réactions énergétiques. En d’autres termes, non seulement vous allez bénéficier, à votre retour, d’un afflux d’oxygène plus important, mais vos muscles vont également se montrer capables de l’utiliser en plus grande quantité. Vous allez donc améliorer vos qualités aérobies. D’autre part, vous allez très nettement améliorer vos performances en altitude, cette forme d’entraînement très agréable – et peu agressive sur le plan articulaire – joue donc, pour les séquences de course se déroulant à plus de 2000 m, un rôle spécifique très déterminant sur les performances, à l’instar de celui qu’assurent les séances de fractionné pour les efforts en plaine. Ainsi, aligner des (30-30) en bord de plage ou gravir 1000 m de dénivelé sac au dos en un après-midi vous profiteront tout autant si vous préparez la « Fila Sky Race » ou le « Canigou ».
Cela étant, votre aisance sur les parties plates ou plus roulantes sera améliorée par la réalisation de fractionné. La nouveauté apportée par ce travail, c’est de considérer que la marche en haute montagne constitue une activité qui développe aussi V02 Max. Et il en va de même, vraisemblablement, de la marche avec raquettes, la difficulté du terrain ajoutant à l’intensité de la tâche. Aussi, pour une Karine Herry qui fractionne très régulièrement (*), on peut trouver une Corinne Favre qui ne se plait jamais autant qu’à gravir des pentes escarpées pour une réussite équivalente !
(*) : son indiscutable polyvalence, qui lui vaut d’être membre de l’équipe de France de 100 km, ne pourrait en effet être garantie sans ce travail indispensable de « coureuse ».
Denis Riché
Doctorat en nutrition humaine et
Spécialiste français de la micronutrition
Photos de Pierre Mouly
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