
La place du cross dans la carrière et la préparation du coureur de demi-fond. Michel Dish nous montre qu’il n’y a pas de vérités, mais propose quelques lignes de conduit
Peut-on rester performant à la fois l’hiver en cross et l’été sur piste ou doit-on choisir l’une ou l’autre de ces deux activités.
Les athlètes et les saisons choisis ont été les suivants :
Nadir Bosch, saison 1995-1996
Vincent Le Dauphin, saison 1997-1998
Loïc Letellier, saison 2005-2006
Gaël Pencreach, saison 2004-2005
Abdallah Béhar, saison 1995-1996.
Pour chaque athlète sont présentés sa progression chronométrique et son palmarès, la problématique et la stratégie de la saison retenue, un résumé et une illustration du contenu de l’entraînement, enfin les résultats obtenus. Dans ce résumé ne seront pas repris la progression chronométrique et le palmarès des athlètes ces renseignements s’obtenant aisément sur le site de la F.F.A.
Nadir Bosch (saison 1995-1996)
Après une saison 94-95 caractérisée par l’entrée dans le très bon niveau français (Champion de France) la saison 95-96 avait pour objectif prioritaire la participation aux Jeux Olympiques et comme corollaires : un entraînement à faire progresser en volume et en qualité, une amélioration du niveau sur 1500. En raison du niveau foncier encore insuffisant de Nadir le cross ne pouvait pas représenter un objectif même secondaire.
L’entraînement foncier s’est déroulé sur 4 cycles de 4 semaines (3 semaines de développement, 1 semaine de repos relatif). Le volume de travail a été le suivant : 1648 km avec 17 séances de piste. A titre d’exemple sur les 8 séances de piste du 3° cycle, 5 ont visé le développement de la VMA avec un volume moyen de séance de 5500 m, 3 ont été un rappel de travail lactique avec un volume moyen de 2800 m.
Les résultats de la saison ont été : rien en cross, si ce n’est quelques cross dont ceux militaires obligatoires, un titre de Champion de France acquis dans le vent et le froid en menant la majeure partie de la course avec les minimas effectués de quelques dixièmes, et donc la participation aux Jeux Olympiques sur le steeple
Vincent Le Dauphin (saison 1997-1998)
La saison 96-97 a été marquée par une grosse progression chronométrique (17 secondes) et l’obtention d’un « titre » de Vice-Champion d’Europe espoir. En raison des études poursuivies, l’objectif prioritaire de la saison n’était pas sportif mais la réussite au concours du CAPEPS. Le temps restant disponible devait être exploité au mieux pour essayer de poursuivre la progression en visant une sélection.
Même protocole que précédemment : l’entraînement foncier s’est déroulé sur 4 cycles avec un volume de travail suivant 1316 km avec 17 séances de piste. A titre d’exemple les 7 séances de piste du 3° cycle, ont toutes visé le développement de la VMA, les séances les plus courtes étaient en sur VMA, le volume moyen de séance de 4800 m.
Pour ce qui est des résultats aucun résultat significatif en cross mais le CAPEPS a été brillamment réussi (19° sur 1000), le record sur steeple a progressé de 10 secondes (8’26″72) et Vincent a été sélectionné aux Championnats d’Europe.
Loïc Letellier (saison 2005-2006)
Athlète déjà expérimenté et disposant d’une grande liberté d’entraînement (militaire détaché) la saison 2005-2006 se caractérise par un double objectif : la participation aux Championnats du Monde de Cross et la participation aux Championnats d’Europe sur 10 000.
L’entraînement foncier s’est déroulé sur 5 cycles avec le volume de travail suivant 2020 km dont 16 séances de piste essentiellement orientées vers le développement de la VMA.
Les résultats de la saison d’hiver sont une sélection aux Championnats du Monde de Cross Court avec une 49° place très honorable à 36 secondes seulement du vainqueur et une position de 8° européen. Par contre c’est l’échec total de la saison sur piste. La cause principale est probablement le manque de récupération physique et nerveuse du au temps trop court entre les Mondiaux de Cross (1° avril) et les Championnats de France du 10 000 (16 juin) qualificatifs pour les Championnats d’Europe.
Gaël Pencreach (saison 2004-2005)
L’année 2004 fut un échec avec une non-sélection aux Jeux Olympiques. La cause en est un surentraînement caractérisé dû au trop grand désir de bien faire. La saison 2004-2005 était envisagée comme celle de la reconstruction sur le plan de l’entraînement avec un seul stage prévu (en altitude). En conséquence aucun objectif en cross n’était fixé et seule était visée une sélection aux Championnats du Monde. Un impératif à prendre en compte était l’appartenance au meilleur club français et donc l’obligation de participer de façon honorable aux compétitions collectives tant en cross que sur piste.
L’entraînement foncier s’est déroulé sur 4 cycles avec le volume de travail suivant : 1790 km avec 17 séances de piste. A titre d’exemple sur les 5 séances de piste du 2° cycle, 3 ont visé le développement de la VMA avec un volume moyen de séance de 6700 m, 2 ont été un rappel de travail lactique avec un volume moyen de 2900 m.
La participation aux cross dans le cadre du club a conduit au titre de Vice-Champion de France de Cross Court et donc à une sélection, non planifiée aux Championnats du Monde où Gaël a fini à une bonne 50° place (6° européen). Cela a perturbé fortement la suite de la préparation. Toutefois la saison de piste a permis d’obtenir sur 3000 steeple : la Médaille de Bronze aux Jeux Méditerranéens, le Titre de Champion de France, la sélection aux Championnats du Monde où il fût le 2° éliminé pour la finale. Les résultats de l’été auraient dû être bien meilleurs avec une meilleure fraîcheur. Mais il a fallu composer avec de nombreuses données : une sélection aux Championnats du Monde de Cross se refuse difficilement, les impératifs de club font partie du « jeu » ainsi que la participation aux Jeux Méditerranéens.
Abdallah Béhar (saison 1995-1996)
La problématique de la saison était le maintien du double objectif le cross avec les Championnats du Monde et la piste avec Jeux Olympiques. La question cruciale consistait plutôt dans le choix de la distance pour les J.O.: 5000 ou 10 000. Par goût Abdallah était plus tenté par le 5 000 que par le 10 000 mais l’analyse technique : potentiel du coureur (vitesse, résistance …) et de la concurrence inclinait plutôt vers la plus longue des deux distances. Le choix pouvait s’opérer assez tard dans la saison car la préparation avec objectif hivernal le cross était aussi bien compatible avec le 10 000 qu’avec le 5000.
L’entraînement foncier s’est déroulé sur 5 cycles avec le volume de travail suivant 2286 km avec 19 séances de piste. A titre d’exemple sur les 6 séances de piste du 5° cycle, 4 ont visé le développement de la VMA avec un volume moyen de séance de 6200 m, 2 ont été un rappel de travail lactique avec un volume moyen de 2300 m.
De façon lapidaire les résultats ont été 5° aux Championnats de France de cross et 76° aux Mondiaux et un abandon sur 10 000 aux Jeux Olympiques, donc très clairement des résultats assez loin de ce qui pouvait être escompté. Mais il s’agit plutôt d’un comportement en compétition car l’amélioration du niveau a été bien réelle et attestée par 2 performances majeures : 27’42″57 sur 10 000 et 7’35″80 sur 3000, cette dernière réalisée juste avant le départ pour les Jeux Olympiques et démontrait un excellent état de forme. On est dans le cas où les résultats en compétition sont très en deçà du niveau athlétique.
Quelques réflexions et règles générales
Ces quelques exemples illustrent différents cas de figure auxquels sont confrontés les athlètes et leurs entraîneurs. On a vu qu’il n’y a pas de réponse unique donc stéréotypée. Chaque tandem déterminera le schéma le mieux approprié en fonction des éléments qu’il a en sa possession et de la façon dont il perçoit la situation à gérer. Toutefois même s’il faut savoir être quelque peu opportuniste dans la gestion de la carrière des athlètes, quelques réflexions et « règles » ont sous-tendues les différentes approches.
Le cross est-il un moyen ou une fin ?
Dans la tradition française de l’éducation athlétique et du demi-fond en particulier le cross est régulièrement cité comme un moyen incontournable. Si, on ne peut pas nécessairement être aussi catégorique, ce moyen est certainement privilégié. C’est une forme d’éducation où le coureur développera la connaissance de ses sensations et sa capacité d’adaptation probablement mieux qu’un schéma plus structuré sur piste ou sur route. Le cross a donc sa place dans la formation du coureur. Par contre on ne peut être aussi catégorique pour un coureur plus déjà plus confirmé. Le cross doit être une fin pour un coureur qui y obtient ses meilleures performances soit par goût soit en raison de ses aptitudes physiques.
C’est une question de choix ou de possibilité pour ceux qui peuvent obtenir indifféremment des résultats en cross et sur piste. Dans ce cas doit être pris en compte dans l’élaboration des objectifs un certain nombre de paramètres. On peut citer la possibilité d’avoir 2 pics de forme dans une saison, cet aspect spécifique sera étudié au chapitre suivant, l’analyse de la concurrence et la possibilité d’enrichir son palmarès.
Pour les athlètes qui ne peuvent pas y briller le cross ne doit pas être une fin en soi.
Maintenant le cross doit il être un moyen et si oui est-il un moyen incontournable et obligatoire ?
Pour les athlètes dont l’objectif ou l’un des objectifs est le cross, la réponse s’impose d’elle même. Pour ceux qui n’ont qu’un objectif sur piste (ou sur route) la réponse est plus nuancée. Compte-tenu du fait que le cross nécessite pour être pratiqué honorablement un bon niveau foncier, l’inscrire au programme des compétitions hivernales peut être une bonne chose. En effet s’astreindre à une préparation longue parfois rebutante, dans des conditions climatiques souvent difficiles est parfois décourageant. « Justifier » à court terme un entraînement foncier par la participation à quelques cross où il faut faire figure honorable peut être une bonne chose et c’est donc un bon moyen : « je fais des bornes parce que je cours un cross dans x semaines. Mais si un athlète n’aime pas le cross et a suffisamment de volonté pour suivre un entraînement structuré à long terme les résultats estivaux peuvent être atteints sans intégrer forcément le cross dans la préparation. Certains coureurs y arrivent mais pas tous. L’objectif étant lointain le risque est grand de repousser à plus tard le début d’un entraînement sérieux. C’est le sketch de Coluche : je fais du sport, je commence demain.
On remarquera également que bien souvent nos coureurs sont intégrés dans des structures collectives (club, équipe de régiment …) et que l’absence totale de cross dans une saison est bien rare sauf en cas blessure.
Dans une même saison peut-on concilier cross et piste donc avoir 2 pics de forme ?
Il n’y a pas de réponse standard à cette question. On tiendra compte de quelques facteurs. En particulier quelles sont la faculté de récupération du coureur. Cette faculté est en fait multiple. Elle est bien sûr physique, si le corps ne suit pas on peut vouloir tout ce qu’on veut on n’obtiendra pas grand chose, mais elle est aussi nerveuse et aussi motivationnelle. Certains coureurs lorsqu’ils ont atteint un but essentiel pour eux mettent un certain temps avant de s’en remettre et il faut en tenir compte. On intégrera en outre les particularités du calendrier. Ainsi de combien de temps on dispose entre les 2 objectifs. De la même manière l’objectif doit être analysé de façon fine. Ainsi selon les coureurs les modalités de sélection sont à intégrer ou pas dans l’objectif. On a vu dans le cas de Loïc Letellier en 2006 qu’entre les Championnats du Monde de cross (1° avril) et la course de sélection pour les Championnats d’Europe (16 juin) le délai était certainement trop court (2 mois et demi) pour se régénérer. Pour un coureur de niveau plus courant, disons avec objectif les Championnats de France sans pouvoir prétendre à des sélections internationales en Grands Championnats les cross et piste peuvent généralement se concilier à condition de respecter entre chaque demi-saison une période de récupération.
Règles de construction des plans d’entraînement
Quelques règles ont été suivies dans la construction des plans des athlètes précités :
. 1 jour de repos hebdomadaire,
. pas ou peu d’entraînements durs enchaînés,
. pas ou peu de récupérations très courtes dans les séances,
. pas d’entraînement dur dans les 2 ou 3 jours précédents ou suivants une compétition,
. politique de stage à la fois en altitude et en plaine,
. 2 entraînements quotidiens de 2 à 4 fois par semaine (si possible).
Exemple de structuration d’une saison hivernale d’Abdellah Béhar
Cet exemple montre comment on peut concilier à la fois un nombre de cross relativement important (10) et respecter un temps de récupération et de préparation suffisant. La saison de compétition a été partagée en 2 demies-saisons séparées par un stage en altitude de 6 semaines. La première demi-saison ne constituait pas un sommet et ne comportait que des cross ou courses sur route sans objectif courus aux dates suivantes : 14/11, 21/11, 05/12, 12/12, 25/12. La seconde demi-saison devait correspondre à un pic de forme. Les cross ont été courus aux dates suivantes : 06/02, 13/02 (Championnat LIFA), 20/02, 06/03 (Championnat de France), 27/03 (Championnat du Monde).
Quelques remarques diverses
On peut se demander si le cross doit être utilisé pour les coureurs de demi-fond court. Quelques coureurs de demi-fond court ont en fait été polyvalents et disputaient le Championnat de France de cross (long, le cross court n’existait pas à l’époque où ils couraient) sont concernés entre autres : Michel Jazy, Philippe Dien, José Marajo, . On remarquera que ces références sont déjà anciennes et ne correspondent plus guère à ce qui se pratique aujourd’hui.
On notera enfin que certains bons coureurs de 5000 dont on pouvait s’attendre à ce qu’ils puissent obtenir de bons résultats en cross ne les ont jamais obtenus.
Michel Disch
Crédit Photo – Depositphotos – AEIFA
Pour adhérer à notre association ou avoir des renseignements, une seule adresse :AEIFA,
16 rue Vincent Compoint 75018 PARIS
Courriel : aeifa@aeifa.com Internet : www.aeifa.com
You must be logged in to post a comment.